Archives mensuelles : juin 2012

Nous sommes esclaves

 

« L’esclavage prend de graves proportions lorsqu’on lui accorde de ressembler à la liberté. » – Ernst Jünger

On connait ce sentiment. Le relevé de la carte de crédit arrive et ton cœur semble sauter un battement. On le consulte furtivement, comme si l’effleurer du regard allégeait les chiffres. Mais ça change rien. Nous vivons au-dessus de nos moyens, amis.

Qu’on roule dans un char de l’année quand on n’en a pas les moyens, qu’on s’habille, à crédit, comme une star, qu’on collectionne les lunettes de soleil de luxe ou qu’on mange trop souvent dans les restos chics, ce sont tous les symptômes d’une même maladie. Nous sommes des consommateurs compulsifs.

Comment en sommes-nous collectivement arrivés là? Pourquoi en vouloir plus, plus et toujours plus? Pourquoi vouloir une Ducati et pas juste une moto? Pourquoi rêver à une Porsche quand on a juste besoin d’une auto? On sait tous qu’une Timex donne l’heure mais le fantasme, c’est la TAG Heuer, objet de convoitise qui attire les regards et augmente notre statut social. Va falloir l’admettre, les marques nous intoxiquent.

Tiens je vais vous faire plaisir: Chanel, Louis Vuitton, Audi, Canada Goose, BMW, Lacoste, Gucci, Guess, Ray-Ban, Cartier, D&G, Hugo Boss, Apple. Salivez-vous? Y retrouvez-vous rêves? En manque-t-il?

La vérité est que nous ne sommes plus maîtres de nos désirs; ils sont conçus de toutes pièces par de brillants stratèges marketing puis implanté dans nos crânes à petites doses. Enfin, petites mais nombreuses car on estime généralement qu’une personne reçoit de 2,500 à 3,000 messages publicitaires PAR JOUR. Cela inclut la télé, la radio, les journaux, les enseignes des magasins, les logos sur les vêtements, les sacs, etc. Rapporté sur une seule année, ça en fait plus d’un million de messages qui ENTRENT DANS NOS TÊTES. Faut dire que programmer des consommateurs décervelés est un long processus. Il faut harceler les sujets depuis leur plus tendre enfance pour créer ces inaccessibles « besoins ».

Voyez-vous de quel type d’esclavage je vous parle? Nous sommes à fond dans la consommation, accrocs aux achats impulsifs et l’effet dopant qu’ils nous procurent pour un instant. Nous sommes des esclaves et notre maître n’est pas un homme, c’est un système économique. Et on joue son jeu à fond; pris au piège que nous sommes, la cravate à terre à travailler 40, 50 ou 60 heures semaine pour pouvoir maintenir nos rythmes de vie.

C’est un esclavage nouveau car notre corps est libre – quand on ne travaille pas – mais notre esprit ne l’est pas. Un grand morceau appartient à notre maître. Il nous sera restitué quand nous ferons le choix d’arrêter de vouloir avoir dans le futur pour être dans le présent. Réaliser ça est déjà un pas dans la bonne direction…


Réponse à la chronique du 9 juin de Pierre Foglia

Suivant la nouvelle sur la petite fête de Sagard donnée en l’honneur de Mme Desmarais et la chronique que j’ai écrite à ce sujet, j’étais curieux de savoir si Pierre Foglia aborderait le sujet. Comme il ne l’avait toujours pas fait après deux chroniques, je l’ai questionné par courriel sur son silence.

Je me doutais bien des raisons de sa discrétion – il est à l’emploi de Power Corp. – mais comme je l’avais déjà entendu dire que ses patrons ne l’avaient jamais censuré, j’ai eu envie de parler censure avec lui, enfin plus précisément d’autocensure. Eh bien ma question l’a manifestement piqué puisque j’ai obtenu réponse, oh oui! Et elle est entrée et à deux cents à l’heure avec un doigt d’honneur comme lui seul sait le faire!

Sa chronique Pro domo, pour ma maison du 9 juin est essentiellement la version polie du courriel qu’il m’a envoyé. Ce texte est ma réponse.

M. Foglia, parmi tout ce que vous amenez comme arguments dans votre chronique, je vous concède que Sagard n’est pas une attaque à la démocratie. En effet, la victoire du capital privé sur les pouvoirs publics remonte à si loin que même vous semblez l’avoir désormais oublié, au point de considérer le party de Sagard banal, la continuation du copinage. Réalisez-vous cela?

Vous demandez si la démocratie serait moins menacée si M. Charest avait décliné l’invitation. Non, vous avez aussi raison, les soirées auxquels Charest assiste ou non ne changent rien à rien. Car avec des hommes d’états comme lui, c’est le capital privé qui est au pouvoir. Les élus ne servent plus que de courroie de transmission entre les commandes des vrais patrons (les entreprises) et les mécaniques de l’état pour les implanter (contrôler l’Assemblée nationale pour voter les lois, pousser les projets réclamés par les lobbyistes tels que les gaz de schiste, Anticosti, le Plan Nord et j’en passe, le tout aux spécifications telles que reçues « d’en haut »). Sans oublier la job de vente de ces programmes à la population via des firmes spécialisées en relations publiques…

Vous terminez votre chronique par ce que je juge être une insulte à l’intelligence de vos lecteurs en disant que « […] les Desmarais eux-mêmes font comme si c’était VOTRE journal. » « Comme si… » car si La Presse était effectivement NOTRE journal, le petit party de Sagard aurait orné sa Une il y déjà 4 ans de ça et elle aurait été accompagnée d’éditoriaux assassins dénonçant cette association douteuse, s’inquiétant de l’éthique de M. Charest, s’inquiétant pour le bien commun, s’inquiétant pour NOUS.

Non M. Foglia, aucun doute, La Presse est bien la propriété de Power Corp.

Parlant d’éditoriaux, deux mots à propos d’André Pratte, l’éditorialiste en chef que vous défendez. Vous dites de lui qu’il « est peut-être le collègue le plus gentil, le plus civil que j’ai côtoyé en 45 ans ». On vous croit sur parole qu’il est gentil mais on s’en crisse. C’est pas ça qu’on recherche chez un éditorialiste d’un journal de l’importance de La Presse.

André Pratte occupe ce poste parce qu’il partage d’emblée, sans retenue et ma foi sans discernement – autrement, comment peut-on à ce point être en symbiose avec le pouvoir? – les valeurs néolibérales que promeut La Presse. Il est le tenant du statu quo, du statique, de l’immobilisme. Il s’affaire à nous faire avaler, à grands coups d’arguments pseudo-intellectuels biaisés toujours du même bord, comment tout est dont parfait de même dans notre plusse beau pays. Pas pour rien que son discours est rejeté par la masse, vous dites le constater vous même à tous les jours.

La véritable remise en question du système et de ses zones d’ombre provient de plus en plus, il me semble, des WikiLeaks, Anonymous et de dissidents comme le professeur du M.I.T. Noam Chomsky et il y a lieu de se questionner sur les raisons de la cécité de nos empires médiatiques. Ce supposé 4ème pouvoir est certes sophistiqué, « divertissant au boute» et sa mise en page léchée mais ce qui frappe, c’est surtout la docilité de ses propos – envers l’ordre établi – et la prépondérance d’idées et d’opinions inoffensives.

A-t-on réussi à complètement éliminer des médias toute dissidence, toute idée moindrement subversive envers le système en place? Ses journalistes, contraints à sélectionner leurs sujets à l’intérieur de balises délimitant ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas nous informent certes, mais pas trop et pas sur tout. C’est la pluralité et la diversité d’opinions qui en prennent pour leur rhume. Ne jamais remettre en question l’unique idéologie, la néolibérale, voilà l’acceptable pour les promoteurs et véritables bénéficiaires du statu quo. Pour citer un slogan entendu dernièrement lors d’une manifestation: « Travaille, consomme pis ferme ta yeule ».

M. Foglia, vous répondez aux détracteurs de votre journal mais évitez habilement le coeur du sujet: d’une manière ou d’une autre, c’est le propriétaire qui détermine les contenus qui paraissent dans sa propriété, que ça vous plaise ou non. Et si c’est publié dans La Presse, c’est que c’est inoffensif à l’ordre établi…


Sur le mépris de Charest et la démocratie de Desmarais

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Et puis? La nouvelle sur la somptueuse réception offerte par Paul Desmarais, réception qui aurait coûté de 12 à 14 millions de dollars et qui comptait des invités prestigieux tels que George H. Bush, Brian Mulroney, Jean Chrétien, et oui, votre humble serviteur Jean Charest, cette nouvelle donc a-t-elle retenue votre attention? Elle aurait dû et pour plusieurs raisons. D’abord, elle expose au grand jour le jupon Power Corp qui manifestement dépasse sous la jupe de votre premier ministre. Ce n’est pas anodin quand on sait que cette entreprise détient plusieurs quotidiens au Québec dont l’influent La Presse (et son pendant numérique Cyberpresse). Et elle soulève des questions, justement, sur le fonctionnement de ces mêmes médias.

Si vous ne le saviez pas déjà, l’homme politique moderne aime recevoir des invitations provenant de gens comme les Desmarais de Sagard car il sait qu’il sera reçu avec la classe que commande son poste. L’important homme politique affectionne l’odeur du cuir de la limousine qui le conduit, le pli du smoking qu’il porte pour l’occasion, les bons cocktails et les mains multimillionnaires que ces réceptions lui permettent de serrer. Des millions, ça peut toujours servir, surtout en élection. Il se réjouit à l’idée de tremper une cuillère d’argent dans le potage de son repas gastronomique 8 services tout en faisant la conversation à George H. Bush. L’Orchestre métropolitain à l’oreille, il apprécie la chance qu’il a de poser son regard sur la chorégraphie que Luc Plamondon a créée spécialement pour l’occasion, flûte de champagne à la main, ébloui qu’il est par la beauté et la grâce d’un chapiteau digne de Louis XIV. Cela flatte son égo – car il est l’une des stars de la soirée – et confirme qu’il a résolument atteint le sommet. Il en profite d’ailleurs pour savourer, si ce n’est la vue du haut du monde, du moins celle du haut du Canada et du Québec. Finalement, il sourit en pensant que sa place est ici, au milieu des grands, entouré de la crème VIP du pays, dans la ouate. Michou, tu ferais une petite photo de moi avec l’ex Président? Clic! Un beau trophée à ajouter à une collection sûrement déjà remarquable. Quelle soirée magique! Au cours de ces deux jours que dure la fête, incontestablement, il aime Paul Desmarais. Comme disait Richard Martineau, sauf que c’est approprié cette fois : c’est la belle vie!

Notez qu’en ce moment même à la Commission Charbonneau, l’étau se resserre sur petit poisson Tony Accurso et son ridicule petit bateau. C’est monarque Charest qui doit se retenir de se rouler de rire!

Ces événements mondains commandités par Power Corp – remarquez, c’est elle qu’on nomme mais on peut facilement l’imaginer n’être qu’une parmi un club plus vaste – sont le genre de petites pauses appréciées par un premier ministre car il doit aussi frayer avec d’autres personnages et événements bien moins agréables. Prenez la grève étudiante, misère qu’elle est chiante cette grève! Pauvre Jean! Doit-il les détester, ces petits baveux de 20 ans, ces morveux qui contestent son autorité, sa légitimité, le défiant lui, le brillant stratège, le fin politicien qui roule sa bosse depuis près de 30 ans? Bien sûr, l’affront ne va pas jusqu’à l’obliger à s’impliquer lui-même dans les négociations. Quand même, les ministres-marionnettes sont là pour ça!

Conséquemment, concevez-vous mieux que Charest ait pu assisté à moins d’une heure de discussions en plus de 3 mois? Quand on connait les divers avantages, cadeaux, courbettes, ascenseurs et retour d’ascenseurs et retour retour d’ascenseurs que l’important monsieur reçoit régulièrement des hommes et femmes les plus riches de la province, du pays, doit-on s’étonner du mépris patent qu’il démontre envers la jeunesse?

La deuxième question maintenant : pourquoi est-ce Anonymous, un groupe international de pirates informatiques, qui informe les citoyens et électeurs québécois sur l’existence de cette petite fête? Comment se fait-il que c’est Anonymous qui nous renseigne sur l’état de notre démocratie et sur ce que nos leaders font de leurs fins de semaine?

Je ne connais pas la réponse entière mais j’en sais instinctivement une partie puisqu’on devine bien que ce n’est certainement pas La Presse qui va affecter des ressources pour investiguer cette histoire! Vous comprendrez que chez Gesca (et tout autre empire médiatique) il existe des zones bien délimitées, connues par tous ses journalistes. Il y a les zones où on doit aller, celles où on peut aller et enfin celles où on ne doit jamais, jamais aller, du moins quand on planifie conserver son emploi. Première règle, si ça concerne le patron, on peut traiter la nouvelle seulement si le résultat sera minimalement flatteur. Deuxième règle, toujours si ça touche le patron mais que cette fois le papier risque de ne pas chanter ses louanges, on détourne le regard et on passe rapidement à un autre appel en sélectionnant une autre histoire “d’intérêt public”. N’importe laquelle, c’est sans réelle importance; de toute façon le public est déjà bien nourri aux faits divers tels que l’histoire du démembreur. La propriété détermine les contenus, tous les magnats des médias savent cela et c’est là que repose l’intérêt de détenir ces agences de presse.

Chef, on fait quoi pour les amis du patron? Le chef : tu suis la deuxième règle. Et Jean Charest, est-ce que c’est un ami du patron?

La réponse, d’après vous?